Extrait de l'article Un automne au Japon :
L’avantage d’une vie nomade, c’est que les déceptions y sont aussi éphémères que le souvenir d’une étape, plus légères, parfois, que le souci de l’immédiat, et plus volatils que l’enchantement.
Comment ne pas être passionné par l’architecture japonaise, son esthétique épurée, la légèreté, son rapport à la nature, ses notions d’impermanence, de vide, de parcours qui ont régi sa tradition.
Sur les hauteurs du mont Hiei, non loin de Kyoto, les japonais parcourent les vallées, dans le silence des montagnes. Ils vénèrent au passage les ancêtres, conformément au principe essentiel de la marche : « chaque jour, chaque pas est un chemin nouveau ». Depuis mille deux cent ans, marche et prières s’unissent dans un même souffle, à l’abri des montagnes sacrées considérées par les Japonais comme un lieu de perfectibilité de l’âme humaine.
Loin d’être des lieux de superstitions, les montagnes sacrées représentent pour les Japonais des êtres vivants dotés de forces telluriques. Les images de Yoshimitsu Nagasaka nous confirment cette vision vibratoire de la nature. Méditations et rituels se succèdent comme le printemps à l’hiver. Des arbres séculaires retournent à la terre tandis que les graines « semées » par les oiseaux apportent le renouveau. Et dans cet isolement sauvage, au sens étymologique dérivé de silva, la forêt, l’homme éprouve physiquement le cycle de la vie, se sent appartenir au monde.
Dans le regard et les explications de mon compagnon de voyage, qui a vécu une vie au Japon, se dessine à traits légers l’un des aspects essentiels de l’esprit japonais: cette capacité à faire abstraction de la laideur et à distinguer les détails gracieux dans un ensemble désagréable. Une fleur perce à travers le goudron d’une trottoir grisâtre ? Cela suffira à enchanter le regard. Les Japonais ont cette capacité à faire abstraction d’un contexte accablant et à se concentrer sur un microcosme de beauté. La pensée japonaise se trouve à la confluence de sphères culturelles multiples : shinto, bouddhisme, confucianisme, christianisme, autant d’apports étrangers qui ont nourri, influencé et façonné la philosophie nippone, sans jamais pourtant dénaturer sa part autochtone. Le Japon est une porte ouverte à l'extase, à une contemplation tout en extrême finesse. Peut-être l'aboutissement d'un voyage en Asie. "Voyager rend modeste. On voit mieux la place minuscule que l’on occupe dans le monde" écrivait Flaubert. Cette citation à toute sa place au Japon, îles montagneuses qui rappellent que l'on ne voyage pas pour se fuir, chose impossible, on voyage pour se trouver au plus profond de soi-même.